samedi 18 janvier 2014

Dans l'ascension (en solo) vers les cimes de la connaissance il faut savoir s'alléger de quelques idées préconçues mais ...

Sans commentaire // ou presque (19ème épisode)

Il ne faut peut-être pas jeter la naturalité avec le sac de cordes noeuds du multivers
//Le site Edge.org qui se propose de faire réfléchir de brillants esprits sur les limites des savoirs actuels posait cette année la question suivante : "Quelle idée scientifique est bonne pour la retraite?" (WHAT SCIENTIFIC IDEA IS READY FOR RETIREMENT?). Voici la réponse de Peter Woit, célèbre pourfendeur des théories des cordes qui endosse son cheval de bataille habituel en l'abordant à travers le prisme de la naturalité : 
The period around 1974 brought us not only string theory, grand unification, and supersymmetry, but also something called the "naturalness" argument. The idea here is that our best model of particle physics, the Standard Model, is just an "effective theory", an approximation valid only at observable distance scales. Ken Wilson taught us how to use the "renormalization group" to not only extrapolate the behavior of a theory to short distances we can't observe, but also how to run this backwards, finding an effective theory for a fundamental theory defined at unobservably small distances. In a technical sense, "natural" theories are the ones where what we see is insensitive to the details of what happens at short distances. "Naturalness" became part of the speculative picture born in the 1974-era: complicated new physics involving unobserved strings and superpartners could be postulated at very short distances, with a "natural" theory all that is visible to us. In this picture it is technical "naturalness" which ensures that we can't see any of the complexities introduced by unobservably small strings or superpartners. [...]
The observation at the LHC of the Higgs, but no superpartners, has caused great consternation among theorists. Something has happened that should not have been possible according to the forty-year-old reasoning now well-embedded in textbooks. Arguments are being made that this is yet more evidence for the multiverse. In this "anthropic" view, anything goes at short distances for bubble-universes elsewhere in the multiverse, but we see something "unnaturally" simple in our bubble-universe because otherwise we wouldn't be here. The rise of such reasoning shows that sending the "naturalness" argument into retirement (along with the epicyclic complexity of strings and superpartners) is now something long overdue.  
La période autour de 1974 nous a apporté non seulement la théorie des cordes, la grande unification et la supersymétrie, mais aussi quelque chose que l’on appelle l'argument « de naturalité ». C’est l’idée selon laquelle notre meilleur modèle de la physique des particules, le modèle standard, est seulement une « théorie effective », une approximation valable uniquement pour les échelles de distances observables. Ken Wilson nous a appris à utiliser le « groupe de renormalisation » non seulement pour extrapoler le comportement d'une théorie à des distances plus petites, que nous ne pouvons pas observer, mais aussi pour faire fonctionner le mécanisme à l’envers, c’est à dire trouver la théorie effective associée à une théorie fondamentale définie seulement à une échelle de distances inobservable. Dans un sens technique, les théories «naturelles» sont celles pour lesquelles ce que nous observons est insensible aux détails de ce qui se passe aux distances plus courtes. "Le critère de naturalité" fait partie intégrante de la conception spéculative née avec  cette ère qui a débutée en 1974 : celle d’une nouvelle physique complexe qui postule l’existence de cordes et de particules supersymétriques à des échelles spatiales très petites, avec une théorie "naturelle" à notre échelle. Dans cette vision, est techniquement  «naturel » ce qui nous prémuni contre la mise en évidence de la complexité introduite par ces cordes et autres superparticules indiscernables. [ ... ]
L'observation au LHC du boson de Higgs et l’absence concomitante de superparticules a causé une grande stupeur parmi les théoriciens. Quelque chose s'est passé qui n'aurait pas dû être possible selon le raisonnement suivi ces quarante dernières années et maintenant intégré jusque dans les manuels des étudiants. Des arguments sont déployés pour dire que c'est là une preuve de plus pour l’idée du multivers.  Selon ce  point de vue « anthropique » n’importe quoi survient à courte distance dans les autres univers-bulles qui peuplent le multivers, mais nous-mêmes observons quelque chose d’ « anormalement » simple dans notre univers-bulle car sinon nous ne serions pas là. L’avènement d'un tel raisonnement montre que la mise à la retraite de cet argument de «naturalité» (comme l’abandon de la complexité des cordes et des particules supersymétriques qui rappellent celle des épicycles) est maintenant quelque chose attendu depuis longtemps.
 Peter Woit, The "Naturalness" Argument, janvier 2014

Changer d'abord sa vision de l'espace et du temps et renverser peut-être les hiérarchies 
//La naturalité est un concept scientifique aux multiples facettes (déjà évoqué sur ce blog) dont le texte de Woit ne donne qu'un aperçu très partiel sinon un peu partial, aussi pour compenser ce biais voici un autre point de vue d'une physicienne expérimentatrice cette fois qui recoupe partiellement le point de vue de Woit mais l'enrichit (ou l'explicite davantage) par une critique plus large de la conception actuelle de l'espace-temps de la physique.
Naturalness, hierarchy and space-time as invoked today in physics, will be retired sooner than later. The naturalness "strategy" and hierarchy "problem" for building models towards theories that extend the standard model of particles and their interactions (call it STh, standard theory a la David Gross) are crumbling with the measurements of the newly discovered Higgs-like boson. [...] So, the slavery of the need to be "natural", not "finely-tuned" (very subjective notions that we should have objected to, much earlier) is being lifted as we speak, and the road to high energy might be surprisingly more complex than what we were envisioning. Towards the end of the road, and there may be none such if the road curves back at us, there is gravity or space-time that enters the mix of physics notions that are hairy and loopy and we have to upgrade them if not retire them altogether. On related physics ideas, the notions about the particle nature of dark matter might also crumble. Some big revolutions (and discoveries) are in store regarding fundamental notions of our quantum universe.  
Les concepts actuels de naturalité, de hiérarchie et d'espace - temps qui sont invoqués en physique, seront abandonnés plus tôt qu’on ne pense . La « stratégie » de la naturalité et le « problème » de la hiérarchie invoqués dans la construction de modèles pour les théories qui vont au-delà du modèle standard des particules et de leurs interactions (appelons le ThS pour Théorie Standard à la David Gross) sont en train de s'effondrer avec les mesures effectuées sur la particule du type boson de Higgs récemment découverte. [ ... ] Ainsi, l’exigence de soumission au critère de « naturalité » et d’aversion pour les « réglages fins » (notions très subjectives auxquelles nous aurions dû faire des objections beaucoup plus tôt) est en train d’être levée au moment où nous parlons et la route vers les hautes énergies pourrait bien être étonnamment plus complexe que ce que nous envisagions. Au bout du chemin, et il pourrait bien ne pas y en avoir si le dit chemin se courbe tant qu’il fait demi-tours, il y a la gravité ou l'espace-temps qu’il va falloir marier avec des notions physiques un peu folles ou tirées par les cheveux et il faudra alors mettre à jour les premières sinon les abandonner tout à fait.
A propos de concepts physiques voisins, il se pourrait bien que la notion de particule de matière noire soit sur le point de s’écrouler. Il y a pas mal de grandes révolutions (et  de découvertes) en germes pour ce qui touche aux notions fondamentales de notre univers quantique.
Maria Spiropulu, Naturalness, Hierarchy And Space-Timejanvier 2014


Si tous les chemins mènent à Rome, un homme seul ne peut prétendre se les représenter tous et encore moins chacun les parcourir
//La référence "en solo" mentionnée entre parenthèses dans le titre de ce billet est une remarque de bon sens pour rappeler qu'un individu sur la voix d'une découverte majeure doit souvent renoncer à une représentation passée, une idée préconçue pour monter plus haut que ses contemporains et accéder ainsi à une meilleure compréhension du monde en réalisant la première ascension de telle ou telle montagne-problème. Néanmoins je pense aussi qu'il ne faut pas perdre de vue que la science est également une aventure et une construction collective. Une fois le sommet vaincu et une nouvelle vallée contemplée, d'autres sauront reprendre le flambeau des idées abandonnées pour découvrir : qui de nouvelles voix d'accès au sommet, qui de plus modestes cols pour accéder à la vallée de la Nouveauté afin de l'exploiter à son tour ... à la recherche des prochains massifs de l'Inconnu. 

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