mardi 21 mai 2013

Dessine moi (ou mieux encore : montre moi les obstacles pour se figurer) un quanton !

Peut-on voir l'onde de matière d'un électron dans un atome d'hydrogène?
Le toujours intéressant blog Physics and Physicists nous informait hier de la publication récente de recherches sur la visualisation de la structure nodale des orbitales électroniques d'un atome d'hydrogène par des techniques de microscopie de photo-ionisation sous champ électrique.


Le microscope à photo-ionisation permet l'observation directe d'une orbitale électronique d'un atome d'hydrogène. L'atome est placé dans un champ électrique E et excité par des impulsions laser (en bleu). L'électron ionisé peut s'échapper de l'atome le long de trajectoires directes et indirectes par rapport au détecteur (montré à l'extrême droite). La différence de phase entre ces trajectoires conduit à une figure d'interférence qui est agrandie par une lentille électrostatique (Lens) : au centre. 


Si on veut décrire simplement cette expérience on est conduit à adopter deux modélisations différentes de l'objet quantique appelé électron. La première fait appel au concept de corpuscule, modèle familier de la physique classique pour décrire un objet auquel on peut attribuer à tout instant et simultanément une position et une vitesse. Comme ce corpuscule a été compris comme étant une partie générique de tout atome qui peut plus ou moins facilement en être arraché, on la qualifie de particule. La description corpusculaire de l'électron a servi de base au modèle atomique de Bohr qui l'envisage comme une particule décrivant une orbite stationnaire autour d'un noyau central. Cependant la description de la structure nodale d'une orbitale électronique et la technique expérimentale qui met en jeu le phénomène d'interférence nécessitent toutes deux l'adoption d'une autre modélisation, de nature ondulatoire où l'electron a une extension spatiale irréductible caractérisée par un vecteur d'onde et une phase. Or le développement de la physique classique à travers l'étude de la propagation de la lumière menées par des figures telles que Huygens, Newton puis Fresnel par exemple, semble avoir favoriser la construction sinon d'un antagonisme du moins d'un dualisme entre les deux modèles. Dualisme qui a soulevé de nombreux débats d'interprétation sur la nature de l'onde de matière associée à toute particule quantique, d'abord postulée par de Broglie avant de servir de base à la mécanique quantique de Schrödinger.

Peut-on (se) figurer les limites de la dualité onde-corpuscule (ou onde-particule) ?
La paire formée par les modèles classiques ondulatoires et corpusculaires est d'un usage pratique pour une exposition simple des premiers phénomènes quantiques découverts mais elle soulève des difficultés ou montre ses limites dans des situations plus complexes. Certains y ont vu le signe d'une potentielle incohérence interne ou d'une limitation dans l'efficacité de la théorie quantique. Dans ce contexte (brossé à gros traits) le physicien et philosophe Mario Bunge défendait au contraire l'idée que les objets quantiques sont des entités sans équivalent classique et proposa en 1967 de leur donner un nom générique : celui de "quanton". Cette terminologie a été défendue et popularisée en France par Jean Marc Lévy-Leblond. Voici un extrait d'un article de ce dernier qui défend la pertinence de l'usage du terme de quanton et dessine les contours de la problématique qu'il faut dépasser ou circonscrire :

... quantons have something to do with waves and particles. But it is not that they appear either as waves, or as particles: as a matter of fact, most of the times they just appear for what they are, deserving a full quantum treatment, and not lending themselves to a classical wave or par­ticle description. It is true, yet, that in some specific circumstances, there are valid wave or particle approximations (necessarily exclusive). The condition  for the validity of these approximations, although empirically more or less well-known, are not, to my knowledge, theoretically under control. It is an interesting problem, I think, to be solved, and one which should deepen our understanding of the quantum concepts as such ... Let me only note that bosons may obey either a wave, or a particle approximation; electromagnetic fields propagate as waves, and photons sometimes may be treated as classical particles. But fermions do not seem have a classical wave description with any physical domain of approxi­mate validity. And it is not clear whether the wave approximation for bosons require or not a zero invariant mass (compare the cases of photons and pions). These last brief remarks are just intended to show how inadequate the idea of a universal wave-particle duality, and how its very generality prevents one from dealing with concrete physical problems, namely study­ the validity of the classical wave and particle approximations. To sum up, the "wave-particle duality" is no more correct a way to analyze a quanton, than a "rectangle-circle duality" would be to analyze a cylinder ; it is even worse, since the two partial aspects may hardly fit in the same pic­ture with some consistency [fig. below]. 
... les quantons ont quelque chose à voir avec les ondes et les particules. Mais ce n'est pas qu'ils apparaissent soit comme des ondes, soit comme des particules : en fait, la plupart du temps ils se manifestent juste pour ce qu'ils sont, et cette manifestation réclame un traitement complètement quantique, et ne se prête pas à une description en termes classiques d'ondes ou de corpuscules. Il est vrai cependant que dans certaines circonstances spécifiques, il y a une approximation ondulatoire ou corpusculaire valable (mais nécessairement exclusives l'une de l'autre). Les conditions de validité de ces approximations, empiriquement plus ou moins bien connues, ne sont pas, à ma connaissance, théoriquement contrôlées. C'est un problème intéressant, je pense, à résoudre et qui devrait permettre d'approfondir notre compréhension des concepts quantiques ... Permettez-moi seulement de remarquer que les bosons obéissent à une approximation qui est soit ondulatoire soit particulaire, les champs électromagnétiques se propagent comme des ondes et les photons peuvent parfois être traités comme des particules classiques. Mais les fermions ne semblent pas avoir de quelconque description en terme d'ondes classiques susceptible d'avoir un domaine physique d'approximation valide. Et la question de savoir si l'approximation ondulatoire pour les bosons nécessite ou non une masse invariante nulle n'est pas tranchée semble-t-il (comparer les cas de photons et des pions). Ces dernières et brèves remarques sont simplement destinées à montrer dans quelle mesure l'idée d'une dualité onde-particule universelle est inadéquate et comment sa généralité même empêche de faire face aux problèmes physiques concrets, à savoir étudier les conditions de validité des approximations classiques ondulatoires et corpusculaires. Pour résumer, la "dualité onde-particule" n'est pas une façon plus correcte pour analyser un quanton, qu'une "dualité rectangle cercle" le serait  pour analyser un cylindre, c'est même encore pire dans la mesure où les deux aspects partiels peuvent difficilement s'adapter dans la même image pour former un tout cohérent [voir illustration ci-dessous].
Jean-Marc Lévy Leblond, Towards a Proper Quantum Theory, 1976 

An illustration of the wave-particle "duality" in quantum physics. Although partial views of this figure may be interpreted as two-dimensional projections of three-dimensional bodies, the full figure is but a two-dimensional one, without such an interpretation.
Illustration (de l'impasse) de la "dualité" onde-corpuscule en physique quantique. Bien que des vues partielles de la figure ci-dessus puissent être interprétées comme projections bidimensionnelles partielles d'objets à trois dimensions, la figure vue globalement ne peut pas être interprétée comme la projection effective d'un objet réel unique tridimensionnel. 



//Ce billet a subit un travail de réédition partielle le 27/04/2020.

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